Rencontre avec Sophie Dallem, Prothésiste Dentaire et Directrice associée chez LABEL DENT METZ, autour de l'impression 3D, du scan intra-oral et du numérique dans le dentaire.
Bonjour Sophie, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Bonjour Sophie Dallem, prothésiste dentaire depuis 20 ans, je suis entre guillemets, spécialisée en esthétique. Je fais beaucoup de facettes céramiques, réfractaire et e.Max, beaucoup de numérique d'implantologie, de grosses réhabilitations complètes, augmentation de dimensions verticales d'occlusion et des arcades complètes que ce soit en peeks, ou des arcades complètes zircone, voilà ça englobe un peu près tout sauf l’adjointe et pas ortho. On est un laboratoire de six personnes. Aujourd'hui, à l’heure où je vous parle, on a un flux 98 % numérique. On a toutes les passerelles de toutes les caméras, je ne travaille pas avec une clientèle locale, j’en ai quelques uns sur ma région, mais c’est vraiment très rare, Je travaille beaucoup avec des praticiens qui sont à Tourcoing, Plougastel, Bordeaux, La Rochelle, Nice, Marseille, Lyon, enfin presque dans toute la France.
À l’heure où le numérique se développe de plus en plus, quelle place reste-t-il à l’artisanat et aux techniques traditionnelles dans la fabrication de prothèses dentaires ?
100 %, parce qu'en fait, l’un ne fonctionne pas sans l’autre pour moi. On est obligé d’avoir les bases de l'artisanat traditionnel et de ce qui s'est fait en amont, de ce qu’on a toujours appris à l'école. Puisque sans ça, on ne peut pas comprendre le numérique. Un bon designer, même en numérique, doit comprendre certaines choses en techniques traditionnelles. Parce qu'il y a des choses qu’on ne voit pas forcément en numérique, ou on peut passer à côté, et puis une fois qu’on a le modèle dans les mains, on se dit “ah tiens, j’aurais mieux fait de faire comme ça”. En fait, on a vraiment un travail visuel. Le numérique aujourd’hui permet plein de choses, cela permet d’être précis, mais il y a quand même l’œil du technicien qui est là, donc je pense que l’un ne va pas sans l’autre et qu’on ne peut pas faire de numérique si on n'a pas des bonnes bases solides en méthode traditionnelle.
Comment avez-vous été formées au numérique ?
Les formations ça se fait au fur et à mesure, moi ça s'est surtout fait grâce à ma clientèle et à des formations que j’ai faites en binôme avec des praticiens, qui eux ont voulu s’équiper. Ça c’est fait de fil en aiguille, ce n'est pas quelque chose qu’on nous a imposé, mais à partir du moment où les céramistes ont commencés à vouloir faire des choses un peu plus importantes, des choses un peu plus grandes et que le numérique a dû rentrer dans les laboratoires avec les premières usineuses, c’était nécessaire. Ensuite, ça a été la révolution. Après 2017 en tout cas et après le confinement encore plus puisque tous les praticiens se sont équipés en caméra. Donc aujourd'hui, moi mon activité elle est comme je l’ai dit 98% numérique, donc je ne pourrai même plus vivre sans.
Ça s'est imposé de fait. Moi je le voyais arriver, à partir du moment où j’ai dû acheter ma première usineuse et si je dis pas “j’ai dû”, c’est qu’en faite, début 2010 je me suis dit que j’avais une trop grosse sous-traitance et que ça faisait beaucoup d’argent, alors que si on investissait, on pourrait garder le contrôle de ce qu’on fait. On a gardé le flux à l’intérieur du labo et en plus l’argent récolté, qui va directement au laboratoire.
Donc, on a commencé à investir, une usineuse, deux, trois et après, on est passé aux imprimantes 3D. Voilà, à partir du moment où il y a un premier praticien qui vous envoie une empreinte numérique, on télécharge la passerelle, ensuite le deuxième et le troisième. Et au fur et à mesure, on arrive à avoir toutes les passerelles et à partir du moment où on est capable de faire un travail correct sur le numérique, les praticiens font du bouche à oreille. Aujourd’hui j’ai quasiment plus que ça, même si j’ai encore quelques empreintes physiques pour faire des facettes, feuilles de platine ou réfractaire. Mais quand on gère le flux numérique, après c’est facile pour eux, c’est facile pour nous, ils ont aussi plus de choix dans les prothésistes, en fonction de ce qu’ils ont besoin. Ça ne me pose absolument pas de problèmes, de partager la part du gâteau avec d'autres prothésistes, aujourd’hui on a tous tellement de boulot que la guerre entre prothésiste ça doit être fini.
Vous avez rejoint il y a peu de temps, le groupe Label Dent, est-ce que vous pouvez nous en parler un peu ?
J’ai rejoint Label Dent pour des raisons professionnelles de mutualisation des forces. Parce que là on bénéficie vraiment d’une force de groupe, donc ça nous permet d’investir dans plus de choses, d’avoir une force commune intra groupe et de développer encore plus la prothèse numérique qui coûte très chère. Comme on est en manque de salariés, en manque de potentiels d’achat, on se regroupe pour pouvoir mutualiser les forces et je pense que c’est un peu l’avenir aujourd’hui. Les laboratoires qui sont en souffrance se réunissent entre eux et moi, j'ai fait le choix de rejoindre un groupe qui a des valeurs, sur l'esthétique et sur le Made in France. Ce sont des choses qui sont importantes pour moi aujourd’hui. Je ne me voyais pas continuer seule, et porter tout à bout de bras, parce que quand ça se développe à la vitesse à laquelle ça c’est développé pour moi, j’avais besoin de soutiens.
Avec la démocratisation du scan intra-oral dans les cabinets dentaires, comment évolue votre travail ?
J’essaye de faire avec, parce que c’est plus précis, mais c’est aussi moins précis dans une certaine mesure. C’est plus précis, car on arrive à avoir des détails au micron, mais ça pose encore des problématique d’états de surfaces, ce genre de choses là. Ça va évoluer bien évidemment, mais le modèle avec des petites stries, même si ça arrive de moins en moins, c’est un peu plus compliqué pour le céramiste qui lui regardait vraiment le détail sur le plâtre.
Mais le numérique, je ne peux plus faire l’impasse sur ça et ce n’est pas seulement la caméra intra-oral, ça concerne aussi la photographie par exemple. Il y a des développements d’outils numériques maintenant : appareils photos numériques, passerelles de communication entre le praticien et le laboratoire. On a tout ce qu’il faut aujourd’hui pour communiquer correctement. Le seul petit défaut c’est que ça reste opérateur-dépendant, c’est-à-dire que si le praticien n’est pas formé à prendre une empreinte numérique correctement, à vraiment avoir le passage de la caméra selon le protocole de la caméra, l’empreinte sera tout aussi mauvaise qu’en traditionnel. J’ai aussi des limites avec les marques d’implants par exemple. On doit revenir en arrière parfois, mais ça va se développer avec le temps.
Est-ce que certains de vos clients sont encore réfractaires à l'empreinte optique ?
J’ai des praticiens qui ne sont pas encore équipés, parce qu’en faite les choses évolue tellement vite, qu’ils ne savent plus où donner de la tête, ils ne savent pas à quel moment investir, parce qu’ils ont peur que ça ne soit pas suffisamment sur le long terme et que dans un an par exemple, les fabricants sortent une meilleure caméra et qu’il ait investi trop tôt. Donc il y en a encore quelques-uns qui restent en traditionnel, mais comme je l’ai dit, mon activité est 98% numérique. Si j’ai 10 empreintes physiques par semaine, c’est beaucoup. Ça va vraiment être sur des cas précis comme des facettes céramiques, des feuilles de platine, … où le numérique sera moins précis.
Que diriez vous à un confrère pour le convaincre d’investir dans le numérique ?
Que c’est l’avenir. Aujourd’hui, investir dans le numérique ce n’est même plus un choix, c’est une obligation. Peut-être que dans mon labo, ça a été très vite où trop vite même. Mais je ne sais pas comment certains prothésistes font aujourd’hui, ils n'ont même pas de scan de labo. Avec la clientèle d’aujourd’hui, tous les étudiants qui vont sortir avec leur diplôme et une caméra à la main. Il faut voir un peu plus loin, anticiper et se dire que de toute façon, on ne reviendra pas en arrière. C’est une obligation pour la survie des prothésistes de s’y mettre, sans forcément abandonner les techniques traditionnelles. Alors ceux qui disent “Oui, mais ce n'est pas assez artisanal… ”, ça reste nous les opérateurs derrière, moi je reste une prothésiste que ce soit dans le numérique ou dans le traditionnel. C’est l’avenir.